Une enquête de l’ADEME et de l’Obsoco met en lumière l’ampleur de la surconsommation textile en France.
Ventes en hausse, usage en baisse
Malgré une crise économique qui frappe l’industrie de l’habillement — restructurations, fermetures et pertes d’emplois (4 000 postes perdus en 2023 selon l’Alliance du commerce) — le volume d’achats reste élevé. Le baromètre Refashion 2024 montre une montée spectaculaire des ventes : 3,5 milliards d’articles vendus en 2024, soit des millions de pièces mises sur le marché chaque jour.
Face à ces chiffres, l’Agence de la transition écologique (Ademe) et l’Observatoire de la société et de la consommation (Obsoco) ont mené une enquête nationale (4 000 personnes), complétée par une approche comportementale auprès de 159 personnes, dont 40 visites ethnographiques à domicile, pour comprendre pourquoi les Français stockent et n’utilisent pas la moitié de leurs vêtements.
Des armoires pleines… mais peu portées
- Les enquêtés sous-estiment fortement ce qu’ils possèdent : en moyenne ils déclarent 79 pièces, alors que le recensement indique plutôt 175 pièces par personne.
- Plus de la moitié des vêtements sont stockés et rarement portés : 120 millions d’articles achetés depuis plus de trois mois n’ont jamais été portés ou seulement une ou deux fois.
- Seuls 35 % des Français estiment que leur garde-robe dépasse leurs besoins et 19 % considèrent leurs achats comme excessifs.
Une minorité tire le marché
L’étude identifie une minorité de gros consommateurs — 20 à 25 % — qui soutient une grande part du marché. Il s’agit majoritairement de personnes jeunes, urbaines et sensibles à l’identité visuelle et à la mode, qui renouvellent fréquemment leur garde-robe.
Le paysage commercial s’est transformé avec l’arrivée et l’essor des modèles de « ultra-fast fashion » en ligne. Ces acteurs, caractérisés par des prix très bas et un renouvellement rapide des gammes, sont plébiscités par une clientèle jeune et féminine aux revenus modestes. Selon l’enquête, 25 % des Français achètent auprès de ces enseignes, contre 45 % pour la fast fashion de première génération.
Seconde main : solution fragile
Parallèlement, la seconde main connaît un essor considérable, surtout via les plateformes numériques. Vinted concentre une large part du marché en ligne. Le réemploi permet en théorie d’allonger la durée d’usage et de réduire l’impact lié à la fabrication.
Cependant, l’étude montre les limites de ce mouvement : pour beaucoup, la seconde main complète simplement le marché du neuf. Les articles revendus ont souvent été très peu portés (20–30 % de la durée de vie «normale»), et dans 50 % des cas les recettes de la revente servent à racheter d’autres vêtements ou à d’autres dépenses. Le risque d’une boucle consumériste reste donc réel.
Quelle marge de manoeuvre ?
Les auteurs de l’enquête insistent sur la nécessité de distinguer deux types de durabilité : la durabilité intrinsèque (qualité des textiles) et la durabilité extrinsèque (manière dont les consommateurs utilisent et conservent leurs vêtements). Pour réduire les flux entrants, il faudra agir sur les comportements : diminuer les achats inutiles, augmenter l’intensité d’usage des pièces et questionner la définition sociale du «besoin» vestimentaire, fortement influencée par le marketing et les codes sociaux.
En conclusion, l’ADEME rappelle que lutter contre la surconsommation textile ne passe pas seulement par la réglementation du secteur, mais aussi par des changements de pratiques individuelles et collectives — un défi autant culturel qu’économique.