Jean Pormanove : mort en direct et l’économie du sadisme numérique

Le 18 août 2025, Raphaël Graven, connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, est mort en direct après un marathon de 298 heures de diffusion ininterrompue. Sa chaîne, le Lokal, hébergée sur la plateforme Kick, rassemblait près de 193 000 abonnés. Bien que l’autopsie ait retenu une cause médicale, les circonstances du décès posent des questions profondes sur la marchandisation de la souffrance et le modèle économique des « trash streams ».

Un spectacle de la violence devenu marché

Durant douze jours, le quadragénaire a subi des sévices retransmis devant une audience massive. Plus de 36 000 euros auraient été récoltés lors du dernier live, selon les éléments publics. Ce cas illustre la transformation de la cruauté en contenu monétisable : dons, abonnements et « tips » sont devenus des leviers incitant à l’escalade des violences pour maintenir l’audience.

Trois mécanismes à l’œuvre

  • Marchandisation de la vulnérabilité : la personne exploitée devient un produit dont chaque instant de souffrance rapporte.
  • Gamification de la violence : des mécanismes techniques transforment les interactions en défis financiers déclenchant des sévices.
  • Fidélisation par l’escalade : la répétition et l’intensification des actes servent à retenir une audience prête à payer pour le spectacle.

Ces logiques transforment les spectateurs de simples voyeurs en acteurs économiques du dispositif : leur contribution financière conditionne la dynamique du live et la surenchère de la violence.

Consentement et emprise

Les instigateurs identifiés, présentés sous les pseudonymes « Narutovie » et « Safine », ont déclaré que les scènes relevaient d’un « divertissement assumé ». Mais des spécialistes rappellent que l’isolement social, la dépendance financière et la pression du groupe sont autant de facteurs qui relativisent la notion de consentement. Autrement dit, la façade du choix peut masquer une exploitation organisée.

La distanciation numérique facilite la déshumanisation

Le numérique instaure une distance morale : l’écran efface le regard, la présence et la confrontation directe à la détresse d’autrui. Cette déshumanisation rend plus aisée la transformation d’un acte cruel en produit consommable. Des penseurs et chercheurs ont déjà décrit ce glissement où la répétition des images de violence conduit à une insensibilisation progressive de l’opinion.

Kick et la faille réglementaire

La plateforme Kick, créée en 2022 par des acteurs du jeu en ligne, s’est positionnée comme une alternative permissive à Twitch, attirant des créateurs grâce à une modération plus lâche et des conditions de monétisation attractives. Avec environ 3,5 millions d’utilisateurs en Europe, Kick échappe au statut de « Very Large Online Platform » qui impose des obligations renforcées sous le Digital Services Act. Cette taille intermédiaire et le retard dans la désignation d’un représentant légal en Europe ont créé une zone grise exploitée par certains acteurs.

D’autres plateformes permissives (DLive, BitChute, Rumble) offrent, par leurs dispositifs techniques et leurs circuits de financement parfois extérieurs, des alternatives permettant la monétisation de contenus controversés.

Un modèle qui interroge

La mort de Jean Pormanove n’est pas seulement un drame individuel : elle met en lumière un modèle d’affaires où la souffrance devient ressource. Plateformes, organisateurs et spectateurs peuvent tour à tour invoquer leur rôle limité pour se déresponsabiliser, alors que tous contribuent à la reproduction du phénomène.

Face à ce constat, la régulation technique et juridique paraît aujourd’hui inadaptée. Les autorités et les législateurs sont confrontés à la difficulté de conceptualiser et d’encadrer une « économie du sadisme » qui se nourrit des failles des plateformes et de la complicité monétaire des publics.

Pour les habitants de la région comme pour les citoyens, ce cas soulève une interrogation simple et lourde : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour du divertissement ?

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