Comptage des manifestants en France: police vs syndicats, où est la vérité ?

Après chaque mobilisation, deux chiffres s’affrontent: celui de la préfecture et celui des syndicats. Entre estimations «officielles» et revendications militantes, comment expliquer des écarts parfois considérables ? Retour sur les méthodes et les limites du comptage des manifestants.

Les méthodes de la préfecture: comptage «à vue» et vérification vidéo

Selon la commission Schnapper (2014-2015), reprise dans plusieurs travaux, la préfecture de police de Paris s’appuie sur un protocole classique: des agents placés en hauteur en bord de cortège comptent «à vue» les rangées qui passent, pendant la durée de la manifestation. Ces observations sont ensuite recoupées par le visionnage de vidéos et des recomptages en bureau pour produire une estimation finale diffusée aux médias.

Cette méthode, ancienne mais systématique, a été validée à plusieurs reprises par des comparaisons avec recomptages manuels intégralement filmés lors de manifestations tests.

Les syndicats: méthodes moins publiques, recours aux transports

Les syndicats communiquent rarement leurs protocoles. Selon des sources syndicales, certains prennent en compte les réservations de trains et de cars, des compteurs positionnés à des points de passage et des remontées départementales. Mais la multiplication des sources pose des questions techniques: comment limiter les double-comptages ? Comment prendre en compte les manifestants qui n’effectuent qu’une partie du parcours ?

Le manque de transparence sur ces méthodes nourrit la défiance et explique en partie la persistance des écarts.

Les tentatives d’arbitrage et les outils modernes

En 2017, un consortium de médias a mandaté le cabinet Occurrence pour fournir des estimations indépendantes. Occurrence utilise des traitements vidéo plus modernes, incluant des logiciels de reconnaissance pour compter les franchissements de lignes virtuelles tracées sur le parcours.

Lors d’une manifestation du 16 novembre 2017, Occurrence a estimé 8 250 personnes, un résultat confirmé par plusieurs recomptages indépendants (BFMTV, Europe 1, TF1, Le Monde) et proche du décompte policier (8 000). Les syndicats, eux, annonçaient 40 000 participants.

Au-delà des méthodes: question de bonne foi et transparence

Les auteurs spécialistes de statistique rappellent que deux conditions sont nécessaires pour parvenir à un consensus: accepter qu’il existe une réalité indépendante des intérêts des acteurs, puis chercher à l’approcher «de bonne foi» par des méthodes déclarées et partagées. Dans le cas des manifestations, ces conditions ne sont pas toujours réunies.

Sans publicité des définitions et sans collaboration technique entre parties (préfectures, syndicats, médias, bureaux d’études), les désaccords resteront politisés et les chiffres continueront à diverger.

Que faudrait-il changer ?

  • Publier des protocoles de comptage clairs et standardisés;
  • Mettre en place des recomptages indépendants, réalisés en commun et rendus publics;
  • Utiliser de façon transparente les technologies vidéo et automatisées, avec contrôle humain pour réduire les erreurs;
  • Accepter un cadre de définition unique de la manifestation (parcours, plage horaire, points de comptage).

Sans ces mesures, la bataille des chiffres restera un marqueur politique autant qu’un enjeu statistique. Pour le public et les médias, la meilleure prévention contre la manipulation reste l’exigence de méthodes publiées et vérifiables.

Article fondé sur une analyse publiée initialement sur The Conversation par Jean‑François Royer, statisticien (SFdS). Rédaction : Julien Martel.

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