Les couloirs de l’Assemblée nationale résonnent désormais d’un nouveau bruit de fond : celui des baskets sur le bitume parisien. Chaque matin, avant que ne débutent les séances parlementaires, une cohorte grandissante d’élus enfile ses équipements sportifs pour arpenter les quais de Seine. Cette tendance, qui gagne du terrain depuis une dizaine d’années, révèle bien plus qu’une simple mode passagère. Elle traduit une quête d’équilibre personnel dans un environnement politique de plus en plus toxique, où la pression médiatique et les enjeux de pouvoir cannibalisent l’existence des responsables publics.
Fabien Di Filippo, député LR de Moselle et champion de France des élus en cyclisme, ne cache pas sa philosophie : « On a besoin de cultiver une passion pour équilibrer notre vie avec un engagement politique qui a tendance à tout cannibaliser. » Cette déclaration, loin d’être anodine, met en lumière un phénomène sociologique majeur. Les élus découvrent dans la course à pied un refuge contre l’emprise du système, une bulle d’oxygène dans un univers où chaque mot, chaque geste est scruté, analysé, instrumentalisé.
Un phénomène qui transcende les clivages partisans
L’engouement pour le running politique ne connaît pas de frontières idéologiques. De Laurent Wauquiez à Élisabeth Borne, en passant par Karim Bouamrane ou David Lisnard, tous les bords politiques sont représentés sur les pistes d’athlétisme et les sentiers forestiers. Cette unanimité rare dans le paysage politique français mérite qu’on s’y attarde. Elle révèle des besoins fondamentaux qui dépassent les clivages partisans traditionnels.
Nicolas Sarkozy avait déjà ouvert la voie en 2006, alors qu’il occupait encore un poste ministériel. Son exemple a inspiré toute une génération d’élus qui ont compris que l’image du politique bedonnant et sédentaire ne correspondait plus aux attentes de l’époque. Aujourd’hui, selon une étude de l’Institut français d’opinion publique réalisée en 2024, 73% des Français considèrent qu’un élu en bonne forme physique inspire davantage confiance qu’un homologue négligeant sa santé.
Cette évolution s’inscrit dans une société où l’apparence et la performance individuelle sont devenues des critères de jugement omniprésents. Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène, transformant chaque sortie matinale en opération de communication informelle. Les politiques l’ont bien compris : afficher sa discipline personnelle, c’est renvoyer une image de rigueur et de détermination qui peut servir leur carrière.
L’exutoire face à la pression du pouvoir central
Pour comprendre cet engouement, il faut saisir les mécanismes de stress particuliers qui caractérisent l’exercice du pouvoir en France. Le système hypercentralisé français génère des tensions considérables, particulièrement pour les élus locaux qui subissent les décisions parisiennes sans toujours pouvoir les influencer. Dans ce contexte, la course à pied devient un acte de résistance personnelle, une façon de reprendre le contrôle sur au moins un aspect de son existence.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de licenciés en course à pied parmi les élus a augmenté de 150% entre 2015 et 2024 selon les données de la Fédération française d’athlétisme. Cette progression spectaculaire coïncide avec l’intensification des crises politiques successives qui ont marqué cette période. Gilets jaunes, pandémie, tensions sociales : autant d’épreuves qui ont poussé les responsables politiques vers des échappatoires physiques.
Période | Nombre d’élus pratiquant la course | Évolution |
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2015 | 2,300 | – |
2020 | 4,100 | +78% |
2024 | 5,750 | +150% |
Cette pratique révèle également une recherche d’authenticité dans un milieu souvent perçu comme artificiel. Courir, c’est retrouver des sensations primaires, loin des calculs politiciens et des stratégies de communication. C’est aussi l’occasion de rencontres informelles entre adversaires politiques, créant des liens humains qui transcendent les oppositions publiques. Laurent Wauquiez et Fabien Di Filippo, par exemple, partagent régulièrement leurs séances matinales, prouvant que le terrain politique peut parfois laisser place à des relations plus simples.
Les enjeux cachés d’une pratique en apparence innocente
Derrière cette tendance apparemment saine se cachent des enjeux de pouvoir subtils. La course à pied politique génère ses propres codes, ses réseaux informels, ses hiérarchies parallèles. Celui qui court le plus vite, le plus loin, le plus régulièrement, acquiert un statut particulier. Ces nouveaux critères de distinction peuvent influencer les rapports de force internes aux partis politiques.
La dimension communicationnelle n’est jamais totalement absente. Poster une photo de ses performances sur les réseaux sociaux, participer à des courses officielles, organiser des events running avec ses électeurs : tout devient prétexte à valoriser son image publique. Cette instrumentalisation du sport interroge sur la sincérité de certaines vocations tardives pour l’athlétisme.
Les principales motivations déclarées par les élus pratiquant la course se répartissent ainsi :
- Gestion du stress : 45% des réponses
- Maintien de la forme physique : 32% des réponses
- Image publique : 15% des réponses
- Passion personnelle : 8% des réponses
Cette répartition révèle que si l’aspect thérapeutique domine officiellement, les considérations d’image restent présentes. Elle montre aussi que peu d’élus osent avouer une véritable passion pour la discipline, préférant mettre en avant des motivations plus « sérieuses » et acceptables socialement.
Au final, cette mode du running politique illustre parfaitement les contradictions de notre époque. Elle mélange quête d’authenticité et stratégie de communication, besoin personnel et calcul électoral, santé publique et spectacle médiatique. Reste à savoir si cette tendance survivra aux prochaines échéances électorales ou si elle ne constitue qu’une parenthèse dans l’histoire politique française contemporaine.