La justice doit se pencher vendredi sur l’utilisation par Carrefour de la location-gérance pour l’exploitation d’une partie de son réseau. La CFDT, qui a assigné le groupe en mars 2024 devant le tribunal judiciaire d’Evry (Essonne), dénonce un « plan social déguisé » et réclame des réparations pour les salariés concernés.
Un recours pour 23 millions
Le syndicat demande 23 millions d’euros d’indemnités au titre de pratiques abusives et exige l’arrêt des transferts de magasins en location-gérance. Selon la CFDT, depuis 2018, 344 supermarchés et hypermarchés sont passés sous ce statut, affectant plus de 27 000 salariés.
Qu’est-ce que la location-gérance ?
La location-gérance est une variante de la franchise : le propriétaire conserve le fonds de commerce pendant qu’un exploitant indépendant assure l’exploitation. Le dispositif permet au distributeur de maintenir la marque et la surface commerciale, tout en externalisant certains coûts de fonctionnement vers un gérant tiers.
Les arguments de la CFDT
- La CFDT juge que Carrefour use de la location-gérance pour se défaire rapidement d’hypermarchés déficitaires et éviter des dispositifs plus contraignants et coûteux comme les plans de sauvegarde de l’emploi.
- Le syndicat alerte sur la perte d’avantages sociaux pour les salariés transférés : primes d’intéressement et de participation, sixième semaine de congés, etc. Il estime la perte moyenne de rémunération à plus de 2 500 euros par an.
- Le syndicat évoque aussi une dégradation des conditions de travail et des réductions d’effectifs dans certains magasins passant en location-gérance.
La réponse de Carrefour
Pour sa part, la direction des ressources humaines du groupe, représentée par Jérôme Nanty, conteste les chiffres et assure que la mesure vise à préserver les magasins et les emplois qui s’y attachent. « Je ne comprends pas comment on peut nous reprocher d’avoir mis en place un dispositif qui était très exactement destiné à préserver le magasin et les emplois », a-t-il déclaré.
Alexandre Bompard, le PDG, a par ailleurs pointé la concurrence accrue des plateformes étrangères comme Shein et Temu pour expliquer certaines réorganisations du modèle commercial.
Conséquences concrètes dans les magasins
La CFDT cite des exemples concrets, comme le Carrefour Douai-Flers, passé en location-gérance en mars 2024. Selon des représentants syndicaux, les effectifs y seraient passés de 285 à 244 salariés et une cellule psychologique aurait été mise en place pour accompagner des équipes en souffrance. Carrefour réplique que l’évolution des effectifs suit les tendances observées dans la grande distribution.
Autres fronts juridiques
Le dossier de la location-gérance n’est pas le seul contentieux qui vise Carrefour. L’Association des franchisés Carrefour (AFC), qui regroupe 260 magasins, a assigné le groupe fin 2023 devant le tribunal de commerce de Rennes, dénonçant une relation commerciale déséquilibrée. Le ministère de l’Economie a, pour sa part, préconisé une sanction pouvant aller jusqu’à 200 millions d’euros.
Le jugement attendu à Evry devrait clarifier jusqu’où un distributeur peut recourir à la location-gérance sans être tenu aux mêmes obligations sociales que pour ses magasins intégrés. Les parties ont avancé des positions tranchées : protection de l’emploi et droits des salariés pour la CFDT, adaptation du modèle commercial et sauvegarde des magasins pour Carrefour.