Le mouvement appelé «Bloquons tout», qui vise à paralyser le pays le 10 septembre, et l’appel de Jean‑Luc Mélenchon à une «grève générale» relancent le débat sur le rôle politique des grèves en France. L’histoire montre que la cessation du travail a longtemps été à la fois un outil de revendication immédiate et un vecteur d’ambitions politiques plus radicales.
De l’action spontanée aux syndicats (fin XIXe–début XXe)
Avant même la légalisation du droit syndical en 1884 et la dépénalisation des conflits de travail en 1864, la grève s’était imposée comme une pratique première du monde ouvrier. Souvent, l’action collective précède l’organisation : des syndicats naissent à la faveur de confrontations sociales, et certaines structures disparaissent après l’épisode de lutte.
La création de la CGT en 1895 renforce cette dynamique. Les premières générations syndicales développent l’idée d’«autonomie ouvrière» et d’«action directe» : la grève est alors conçue non seulement comme un moyen d’améliorer le quotidien, mais aussi comme un instrument susceptible, selon certains courants révolutionnaires, de remettre en cause le système capitaliste.
Deux approches après la Grande Guerre
Au XXe siècle, la Première Guerre mondiale marque un tournant. La scission de la CGT dans les années 1920 articule deux visions : pour Léon Jouhaux et les syndicats réformistes, la grève devient un dernier recours après négociation ; pour la CGTU et les syndicats proches du PCF, elle peut demeurer une arme politique débordant le cadre strictement économique.
Compromis fordiste, ritualisation et déclin de l’utopie
Jusqu’aux années 1960‑1970, la grève reste courante mais change de sens. Dans le cadre du compromis fordiste et de l’institutionnalisation du syndicalisme, la cessation du travail sert à négocier un partage des gains de productivité et à réguler les tensions sociales. La pratique se ritualise : journées d’action et mouvements sectoriels se multiplient.
Mais l’utopie révolutionnaire s’estompe. À mesure que se développent l’État‑providence, la négociation collective et le «dialogue social», l’action gréviste perd de sa centralité idéologique. Les transformations économiques (désindustrialisation, précarisation), la montée du libéralisme et l’individualisation des rapports de travail fragilisent encore davantage la force structurante des mobilisations collectives.
Délégitimation et exception
Depuis les années 1980, de grandes organisations syndicales ont progressivement valorisé le dialogue plutôt que la confrontation, parfois au prix d’une délégitimation rhétorique de la grève. Pourtant, les grandes avancées sociales françaises — Front populaire, Libération, mai‑juin 1968 — restent liées à des mobilisations massives. L’exemple de novembre‑décembre 1995 rappelle que des mouvements bloquants et reconductibles peuvent encore produire des ruptures et rallier l’opinion.
Que signifie l’appel du 10 septembre ?
Les appels actuels à paralyser le pays s’inscrivent dans cette longue histoire. Ils exploitent la capacité symbolique et pratique de la grève : perturber le fonctionnement économique et forcer les pouvoirs publics à prendre la mesure des revendications. Mais ils se heurtent aussi aux limites contemporaines du salariat organisé et à l’usure de la grève comme vecteur d’espoir collectif.
- Historique : grève comme arme ouvrière depuis le XIXe siècle.
- Évolution : de l’utopie révolutionnaire au «dialogue social» institutionnalisé.
- Actualité : les appels du 10 septembre ravivent le débat sur l’efficacité et la légitimité des blocages.
Qu’il s’agisse d’une action ponctuelle ou d’un mouvement prolongé, la grève demeure un puissant marqueur politique en France. Son rôle dépendra désormais de la capacité des organisations à mobiliser, d’une opinion publique prête à soutenir le blocage, et d’une réponse politique qui peut osciller entre concessions et fermeté.
Article rédigé à partir d’une analyse historique publiée initialement sur The Conversation et extraite d’ouvrages sur l’histoire du mouvement ouvrier.