La Colombie a annoncé mardi la suspension de ses achats d’armes auprès des États‑Unis, en réaction à la décision américaine de ne plus la considérer comme un allié dans la lutte contre le trafic de drogue. Le geste marque une rupture diplomatique majeure entre Bogota et Washington et illustre l’escalade des tensions autour d’une coopération longtemps centrée sur l’antinarcotrafique.
Annonce officielle et motifs
Le ministre colombien de l’Intérieur, Armando Benedetti, a déclaré lors d’une interview à Blu Radio qu’« à partir de maintenant … aucune arme ne serait achetée aux États‑Unis ». Il a présenté cette mesure comme une réponse au « désaveu » de Washington, estimant que les enjeux économiques et de souveraineté doivent être pris en compte.
Accusations croisées entre Bogota et Washington
La décision américaine, rendue publique lundi, s’appuie sur une évaluation annuelle des politiques antidrogue menée par Washington depuis 1986. Selon le texte transmis au Congrès et signé par Donald Trump, la Colombie « n’a pas été un très bon partenaire pour s’attaquer aux cartels de la drogue » — analyse attribuée dans le communiqué au secrétaire d’État américain Marco Rubio.
De son côté, le président Gustavo Petro a dénoncé une ingérence américaine, affirmant sur X que la lutte contre le narcotrafic « ne doit pas être un instrument de domination et de pouvoir » et accusant Washington de tenter d’imposer un dirigeant « fantoche ». Le chef de l’État colombien avait déjà déclaré vouloir mettre fin à la « dépendance » des forces armées aux « aumônes » extérieures et promouvoir l’achat ou la production nationale de matériels pour affirmer une souveraineté militaire.
Chiffres et contexte du narcotrafic
- La Colombie reste, selon l’ONU, la première productrice mondiale de cocaïne : la production de chlorhydrate de cocaïne avait atteint un pic estimé à 2 600 tonnes en 2023, soit une hausse de 53% par rapport à 2022.
- Washington fournissait jusqu’à 380 millions de dollars d’aide annuelle à Bogota pour la lutte antidrogue, et l’assistance américaine cumulée entre 2000 et 2018 dépassait 10 milliards de dollars, selon des chiffres parlementaires cités par la Maison‑Blanche.
- Sur le plan sécuritaire, le ministère colombien de la Défense indique qu’entre le 1er janvier et le 15 août, 68 militaires et 65 policiers ont été tués par des groupes armés illégaux, une hausse marquée par rapport à la même période de 2024 (+136% pour les membres de la force publique).
Efforts de Bogota et réponses américaines
Les autorités colombiennes mettent en avant leurs opérations : des saisies massives (près de 700 tonnes de cocaïne déclarées saisies depuis le début de l’année) et la destruction d’un nombre record de laboratoires clandestins (4 570). Le gouvernement insiste également sur la nécessité d’une révision des politiques antidrogue mondiales, pointant l’évolution des consommations et l’impact de drogues comme le fentanyl.
Washington a toutefois laissé une porte ouverte : la suspension de certaines aides pourrait être réévaluée « si le gouvernement colombien prend des mesures agressives pour éradiquer la coca et réduire la production et le trafic de cocaïne », indiquent les autorités américaines.
Conséquences possibles
La décision colombienne de suspendre ses commandes d’armement américaines pourrait compliquer la coopération sécuritaire entre les deux pays à un moment où l’armée et la police colombiennes sont fortement engagées contre des guérillas et des cartels. Au‑delà des aspects matériels, la crise risque d’alimenter un bras de fer diplomatique et politique avec des répercussions sur la coordination des opérations transnationales contre le narcotrafic.
En résumé : Bogota et Washington se retrouvent à un tournant de leur relation historique sur l’antinarcotrafique. Entre accusations réciproques et chiffres alarmants sur la production et la violence, les deux capitales disposent encore de leviers pour tenter d’apaiser la crise — à condition que des mesures concrètes et vérifiables soient annoncées.