Le diffusion par le média L’Incorrect début septembre de courtes vidéos tournées en juillet dans un restaurant parisien a relancé le débat sur la captation d’enregistrements à l’insu des protagonistes. Les séquences mettent en scène les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen discutant avec deux cadres du Parti socialiste. Une phrase de l’échange — «Nous, on fait ce qu’il faut pour (Rachida) Dati, Patrick (Cohen) et moi» — a alimenté la polémique et provoqué de vives réactions du monde politique.
Réactions et suites
Thomas Legrand a été suspendu provisoirement de l’antenne et a reconnu des «propos maladroits», tout en dénonçant une diffusion «tronquée». Patrick Cohen a décrit la publication comme une «manœuvre complètement manipulatoire». Le Parti socialiste a nié toute collusion avec des journalistes. Les deux journalistes ont annoncé leur intention de porter plainte pour atteinte à la vie privée.
À gauche comme à droite, les critiques ont fusé : RN, France insoumise et autres formations ont dénoncé une «infiltration», un «complot» ou une «manœuvre». La diffusion relance aussi la question du devoir de neutralité des journalistes travaillant pour des médias publics.
Le cadre légal
Selon l’article 226-1 du Code pénal, «capter, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel» constitue une atteinte à la vie privée punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Si la personne visée exerce une mission de service public, les peines peuvent être portées à deux ans et 60 000 € d’amende. Pour l’avocate Delphine Meillet, citée par la presse, la captation dans un lieu ouvert au public (comme un restaurant) relève d’un espace public, mais la violation du secret de la conversation reste caractérisée.
Des précédents marquants
- Laurent Wauquiez (2018) : enregistré à son insu lors d’un cours à l’EM Lyon, ses propos — où il évoquait notamment la «langue de bois» et qualifiait Gérald Darmanin de «Cahuzac puissance 10» — avaient été rendus publics par Quotidien et déclenché une large polémique. Wauquiez avait dénoncé des méthodes «illégales».
- Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy (enregistrements 2011, révélés 2014) : l’ancien conseiller avait enregistré des réunions et des conversations privées. Les bandes, publiées en 2014 par plusieurs titres, ont suscité des procédures judiciaires croisées et, en appel, le retrait des enregistrements et la condamnation de Patrick Buisson ont été confirmés.
- Affaire Bettencourt (2009-2010) : des enregistrements réalisés par le maître d’hôtel de Liliane Bettencourt, publiés par Médiapart, avaient contribué à dévoiler des soupçons de fraude et des liens entre milieux politiques et financiers. Ces bandes ont alimenté une longue enquête judiciaire — Éric Woerth, nommé trésorier de l’UMP puis mis en examen, a finalement été relaxé du chef de «trafic d’influence» après plusieurs années de procédures.
Éthique vs intérêt public
Ces affaires illustrent la tension entre l’exigence d’information et le respect de la vie privée ou des règles de déontologie. Pour certains, les enregistrements clandestins sont des outils nécessaires pour dévoiler des pratiques politiques obscures ; pour d’autres, ils relèvent d’une atteinte inacceptable aux droits individuels et ouvrent la voie à des manipulations.
La publication des vidéos diffusées début septembre à Paris relance aujourd’hui ces questionnements : elle montre que, même lorsque les documents révèlent des propos gênants, leur méthode d’obtention peut provoquer des réactions judiciaires et politiques puissantes. La justice et les enquêtes internes détermineront désormais si des poursuites seront engagées et si ces documents pourront être utilisés comme preuves.