Les organisations criminelles ne visent plus seulement le profit : elles cherchent à étendre leur pouvoir et à concurrencer l’État sur les territoires. Europol l’alerte dans son rapport SOCTA 2025, qui met en garde contre des réseaux qui, par gains illicites, violences et corruption, fragilisent la cohésion politique, économique et sociale.
De l’argent au pouvoir
Longtemps réduites à une logique économique, les grandes structures criminelles affichent aujourd’hui des stratégies de domination. La menace dépasse la simple circulation de marchandises et de capitaux : elle s’enracine dans des pratiques visant à influer sur les institutions, à intimider et, parfois, à provoquer un rapport de force avec les pouvoirs publics.
Le rapport SOCTA souligne que si les gains financiers restent une motivation majeure, il faut repenser la criminalité organisée aussi en termes de pouvoir. Ce déplacement conceptuel réoriente la lutte : il ne s’agit plus seulement d’intercepter des flux, mais de contrer des dynamiques d’influence, de corruption et de légitimation sociale.
Des signaux visibles en France
- Au printemps 2025, une série d’attaques visant des établissements pénitentiaires a été interprétée comme une volonté d’établir un rapport de force avec l’État.
- Fin août 2025, la distribution de fournitures scolaires organisée par un réseau de trafiquants à Orange (Vaucluse) illustre la recherche d’une légitimité sociale par le «ruissellement» de revenus illégaux.
Ces faits illustrent deux modes d’influence : l’intimidation physique et la construction d’une clientèle sociale qui peut détourner l’allégeance de populations locales vers des réseaux criminels plutôt que vers l’État.
Corruption systémique et «vote d’échange»
La corruption, souvent sous-estimée, devient parfois un mode de relation durable entre sphère légale et illégale. Des mécanismes tels que le «vote d’échange», documentés en Italie, montrent comment les organisations criminelles peuvent s’immiscer dans le jeu politique pour obtenir marchés, modifications d’urbanisme ou impunités. Là encore, le problème dépasse la délinquance financière : il affaiblit les institutions démocratiques.
Territorialité, matérialité et numérique
Si la criminalité gagne en technicité — notamment via le numérique et les messageries chiffrées — la territorialité et la matérialité restent des invariants. Drogues, armes, espèces protégées ou individus continuent de circuler physiquement et de nécessiter des stockages et des itinéraires tangibles. C’est pourquoi des approches cartographiques et géographiques des réseaux criminels sont préconisées : elles aideraient à repérer des fragilités territoriales et des chaînes logistiques transnationales.
Parallèlement, les autorités disposent déjà d’outils et d’initiatives — comme l’atlas des fraudes douanières publié par la DNRED en 2023 — qui peuvent servir de base à une meilleure compréhension des routes et modes opératoires des organisations.
Une menace aux dimensions multiples
Les experts insistent sur la nécessité d’élargir la lecture du phénomène : il ne s’agit pas seulement d’éradiquer des flux illicites, mais de réaffirmer la souveraineté de l’État sur les territoires face à des réseaux qui investissent l’économie, la politique et le tissu social. Comprendre l’ensemble de ces modalités — violence, corruption, légitimation sociale, appui logistique international — est une condition pour adapter les réponses policières, judiciaires et administratives.
En France comme ailleurs en Europe, les signaux d’alerte sont là. La question est désormais de savoir si les outils de l’État seront adaptés pour préserver l’ordre public, l’autorité institutionnelle et la cohésion territoriale.