Serge Blanco révèle les coulisses du rugby pro français

Serge Blanco révèle les coulisses du rugby pro français

En juin 1995, alors qu’il commentait la Coupe du monde pour Canal+, Serge Blanco ignorait les tractations secrètes qui allaient bouleverser l’ovalie française. L’ancien arrière du XV de France se focalisait sur l’événement historique que représentait la victoire sud-africaine avec Nelson Mandela aux côtés des Springboks. Pourtant, dans l’ombre, se tramait une révolution qui transformerait à jamais le rugby français. Cette mutation du sport amateur vers une ère professionnelle allait révéler les coulisses d’une transformation aussi chaotique que nécessaire.

Les prémices d’une révolution inévitable

Marcel Martin, directeur de la Coupe du monde 1995, gardait jalousement ses secrets. Même son futur ami Serge Blanco n’était pas dans la confidence concernant les rumeurs d’un circuit financé par un milliardaire australien avec un émissaire français, Éric Blondeau. Cette discrétion caractérisait l’homme qui se délectait d’être aux commandes durant cette période charnière, malgré les tentatives d’Albert Ferrasse et de la Fédération de l’évincer quatre ans auparavant.

Le 26 août 1995, l’officialisation du passage à l’ère professionnelle par Bernard Lapasset lors du congrès de l’International Board à Paris marquait un tournant. Sa formule diplomatique – « le rugby est open, sauf en France » – révélait déjà les résistances hexagonales face à cette évolution. Pour Blanco, jeune dirigeant du Biarritz Olympique, cette transformation semblait pourtant logique après les tensions apparues dès la Coupe du monde 1991, quand certains joueurs réclamaient déjà une rémunération.

Cette période d’entre-deux révélait les archaïsmes du système français. Au BO, les accords financiers restaient purement verbaux : 800 francs par victoire à l’extérieur, 500 francs pour une victoire à domicile. Blanco lui-même avait perçu 120 000 francs supplémentaires durant ses deux dernières saisons. Ces arrangements, négociés par Albert Ferrasse dans un grand restaurant parisien, permettaient aux clubs de déclarer officiellement leurs versements aux joueurs, imposés seulement à 50 %.

La bataille pour l’indépendance face au centralisme parisien

La création de la Commission nationale du rugby d’élite (CNRE) illustrait parfaitement la volonté fédérale de contrôler cette mutation sans rien bouleverser. Séraphin Berthier gérait cette structure « de manière très tranquille », provoquant l’exaspération des clubs qui sentaient le retard s’accumuler face à leurs homologues européens, notamment anglais, bien plus réactifs dans l’approche business.

Marie-George Buffet, ministre des Sports, joua un rôle déterminant en 1997. Suite à un recours juridique des clubs contre la FFR pour non-respect de ses engagements, elle exigea la création de la Ligue, donnant trois mois à la Fédération pour présenter un projet. Cette intervention gouvernementale obligea également les clubs à se constituer en sociétés sportives, faute de quoi ils risquaient la rétrogradation.

Le 13 juin 1998, lors de l’assemblée générale de Chambéry, la FFR votait finalement la création de la Ligue Nationale de Rugby. L’élection de son premier président opposa deux visions : Serge Blanco, représentant d’une vingtaine de clubs favorables au maintien dans le giron fédéral, et René Bouscatel, porte-drapeau du « groupe des neufs » prônant une rupture plus tranchée. Cette assemblée « théâtrale » vit Bouscatel déambuler comme un avocat en plaidoirie, avant que Jacques Fouroux et Paul Goze ne démontent méthodiquement son discours.

Année Événement clé Impact
1995 Officialisation du rugby « open » Début de la transition
1997 Intervention de Marie-George Buffet Création imposée de la Ligue
1998 Naissance de la LNR Indépendance relative du rugby pro
2005-2006 Passage au Top 14 Format moderne stabilisé

Canal+ et la construction d’un modèle économique solide

L’indépendance passait nécessairement par l’autonomie financière. Serge Blanco approcha directement Canal+, rompant avec le modèle où la Fédération vendait les droits du championnat à France 2 avec ceux de l’équipe de France. Le premier contrat s’élevait à 23 millions d’euros, suscitant la satisfaction générale des clubs. Cette relation privilégiée avec Canal+ s’inscrivait dans une histoire de fidélité réciproque, Blanco ayant déjà collaboré avec la chaîne cryptée comme consultant.

TF1 et Eurosport manifestèrent leur intérêt, mais ne pouvaient envisager de diffuser quatre ou cinq affiches annuelles en plus des phases finales. Selon Blanco, le rugby aurait pu « tout casser » sur TF1, mais le partenariat avec Canal+ s’avéra plus cohérent. La stabilité de cette relation se vérifie dans la durée : à l’exception d’Orange, aucun partenaire majeur n’a quitté le navire rugby depuis ces débuts.

Les défis organisationnels se révélèrent considérables. Avec 33 clubs à gérer initialement, la LNR dut jongler avec des formules de championnat complexes : trois poules de huit en première saison, puis des « sauts de girafe » avec des configurations aberrantes comme une poule de dix face à une poule de onze en 2000-2001. Les finales de juillet devant moins de 50 000 spectateurs au Stade de France témoignaient des tâtonnements de ces premières années.

Un héritage transformateur malgré les regrets

La construction progressive du modèle professionnel français révèle une approche pragmatique face aux résistances institutionnelles. Le passage de 33 à 14 clubs dans l’élite ne correspondait pas à la vision initiale de Blanco, porté par des clubs qu’il refusait de trahir. Son objectif de préservation du calendrier et de protection des joueurs – particulièrement les 90 % ne jouant pas en équipe nationale – guidait ses décisions stratégiques.

La création de la Pro D2, initialement perçue comme un « mouroir » par certains dirigeants, permit paradoxalement l’émergence de clubs comme Montpellier ou Lyon. Cette structure à deux niveaux professionnels constitue aujourd’hui l’une des spécificités enviées du modèle français, offrant aux formations une seconde chance de retrouver l’élite.

Trente ans plus tard, l’ancien président fondateur exprime un seul regret majeur : l’échec de l’élimination des agents de joueurs. Son projet d’une « boîte à outils » avec des conseillers juridiques et avocats pour accompagner les sportifs fut rejeté par ces derniers. Pour Blanco, les agents demeurent « un des grands problèmes du sport professionnel », bien au-delà du seul rugby.

Les fondations posées durant cette décennie inaugurale expliquent la réussite actuelle du Top 14 et de la Pro D2, reconnus mondialement comme références du rugby professionnel. Cette « belle aventure » que Blanco « recommencerait » illustre parfaitement comment la résistance territoriale face au centralisme parisien peut engendrer des modèles durables et performants, loin des diktat de la capitale.

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