À Dakar, de rares dômes en béton — surnommés « maisons-bulles » — résistent encore au rouleau compresseur de l’urbanisation. Construits dans les années 1950 pour pallier la pénurie de logements, ces igloos rétrofuturistes sont aujourd’hui contraints à l’adaptation ou à la disparition, victimes de la hausse des terrains et des projets immobiliers.
Origine et technique
Imaginées par l’architecte américain Wallace Neff puis diffusées sous l’administration coloniale française, quelque 1 200 maisons-bulles ont été érigées à Dakar dans l’après-guerre. Leur procédé de construction était spectaculaire : on gonflait un ballon, on projetait du béton armé autour en quelques dizaines d’heures, puis on dégonflait la structure. Le résultat ? Des dômes solides, généralement d’environ six mètres de diamètre, offrant une chambre, un salon et une salle de bain.
Un parc en voie d’érosion
D’après l’AFP, seules une centaine de ces maisons subsistent aujourd’hui. Beaucoup ont été démolies pour laisser place à des immeubles rectangulaires plus rentables. Sans statuts de protection patrimoniale, ces constructions singulières ne comptent souvent que sur la volonté de leurs propriétaires pour perdurer.
Pourquoi elles disparaissent
- Pression foncière : les terrains centraux de Dakar ont pris de la valeur, incitant propriétaires et promoteurs à densifier.
- Inadaptation au mode de vie : les logements, pensés pour de petites cellules familiales, se révèlent étroits pour des familles sénégalaises souvent multigénérationnelles.
- Contraintes techniques : chaleur et ventilation limitées rendent ces dômes inconfortables sous le soleil africain malgré un avantage contre l’humidité.
Des exemples à Ouakam et Hann
Dans les quartiers de Ouakam et Hann, plusieurs maisons-bulles subsistent, parfois intégrées à des ensembles familiaux plus vastes. Marième Ndiaye, 65 ans, vit toujours dans la maison achetée par son père dans les années 1950, désormais entourée d’extensions. Ailleurs, l’artiste Sekouna Yansane a relié le dôme familial à une maison moderne, faisant de la bulle une pièce à part entière, vestige et curiosité architecturale.
Pour beaucoup, ces dômes ont une valeur esthétique et culturelle. Sekouna Yansane confie qu’il aime « l’atypie » de ces formes, qui lui évoquent des yourtes. Mais voisins et promoteurs n’ont pas toujours partagé ce choix : plusieurs bulles ont été rasées pour laisser place à des immeubles.
Quel avenir ?
Sans protection officielle, le sort des maisons-bulles paraît scellé si la ville continue de se densifier. L’architecte dakaroise Carole Diop estime que, « au rythme auquel la ville évolue, malheureusement dans cent ans il n’y aura plus de ballons ». Reste la possibilité d’une reconnaissance patrimoniale locale ou d’initiatives privées pour préserver quelques exemplaires, à la fois témoins d’une histoire urbaine et curiosités architecturales.
À Dakar, entre mémoire et rentabilité, les maisons-bulles incarnent le dilemme des villes en croissance : sauvegarder l’originalité ou maximiser l’espace pour loger davantage.